Par Nixou



On a tous connu ça: à neuf-dix ans, encore écolier(e), devant sa console ou en train de mater des DA, des adultes débarquent et demandent quel intérêt y a-t-il à jouer ou à regarder "toujours les mêmes trucs répétitifs et sans intérêts". C'est l'époque des discours de Télérama et de Ségo pour la version soft et un tant soit peu argumenté, et des délires de Famille de France pour la version hard et réac. C'est l'époque où les divertissements originaires du pays du soleil levant n'ont pas encore été remplacés par l'Islam dans le rôle d'incarnation de la peste du multiculturalisme métissé et décadent, l'époque où quelques sketchs vraiment drôles surnagent dans un océan de considérations petites bourgeoises que nos soixante-huitards vieillissants de parents s'échangent d'un air entendu dans leurs discussions du dimanche après-midi (c'était avant que Drucker ne prenne possession de ce créneau). Bref, l'époque où nous autres joueurs de jeux vidéos, consommateurs d'animes passés dans les programmes jeunesse (voir les deux à la fois) sommes soumis à l'anathème de ces vieux cons qui se définissent par leur droit de vote et leurs engueulades pseudo-idéologiques entre la poire et le fromage.

À l'époque, nos réactions d'enfants, puis d'adolescents furent des plus simples: on a tous décrété que les adultes étaient des andouilles qui n'y pigeaient rien et qui nous pompaient l'air par simple perversité et envie de nuire. On s'est dit "fuck les vieux cons", et on a pas changé nos habitudes. Des groupes de personnes partageant les mêmes goûts se sont formées, et avec le temps, de drôles d'institutions ont vu le jour



L'ennui dans l'histoire, c'est que les vieux cons avaient raison, en tout cas, qu'ils n'avaient pas complètement tort: Oui, DBZ était un DA de merde, Oui, les jeux d'arcades étaient souvent des gadgets répétitifs avec de jolis couleurs, Oui, une bonne partie de la production des jeux vidéos se composait de produits de qualité discutable auxquels on jouait sans avoir de véritable recul critique, Non, les mangas n'étaient pas forcément une analyse fine et subtile des travers de la société japonaise, et oui, il y avait là dedans beaucoup de trucs répétitifs et sans intérêts.



Et finalement, on en vint au 21ème siècle: Ben Laden devint l'homme le plus célèbre du monde, Le Pen nous fit défiler en criant "Chirac président" (Quand j'y pense...) George Lucas oublia d'engager scénariste et metteur en scène pour sa seconde trilogie, bref, l'époque aidant, nous fumes obliger de devenir nous mêmes ces adultes honnis.

Sauf qu'une fois adulte, il fallait bien se pencher à nouveaux sur nos loisirs d'enfants, surtout si on ne les a pas complètement abandonné. Et là, les années, la "culture" et le comportement pavlovien de l'adulte aidant, il faut désormais rationaliser à tout crin, donner un verni intello à la moindre de ses activités. Et voilà comment, après avoir secrètement conspué la bande à Téléramoche, l'otake, authentique ou simplement consommateur occasionnel, finit par se Téléramaïser à son tour.

L'une des méthodes les plus simples pour intellectualiser un loisir, c'est de comparer les meilleures productions de sa branche du divertissement aux pires productions des médias concurrents. C'est vrai: pourquoi avoir des complexes d'infériorité devant la ménagère fan des feux de l'amour quand on a Logh? Pourquoi ne pas comparer Jin-Roh à l'inflation de tortures patriotiques de 24 heures? Il y a bien quelques héroïnes qui peuvent renvoyer les Buffy et compagnie aux vestiaires, quelques héros autrement plus intéressants qu'un Navaro vieillisant et même le chien de Télé Z est battu. D'ailleurs, en fin de compte ça a à peu près les même mécanismes qu'un anime de "tranche de vie" et en fin de compte, même les pires produits venu du Japon n'ont pas vraiment à souffrir de la comparaison avec des produits occidentaux, tels la Star'Ac et compagnie. Bref, il est aisé de ce dire que ces vieux cons qui critiquent animes, JV et consorts ne regardent pas mieux, quand ils ne regardent pas pire. D'où la terrible tentation de s'autoproclamer élite intellectuelle de la société de consommation:

Voyez le Raton, qui parle de "son" agrégateur et de "ses" lecteurs comme d'une forme d'élite intellectuelle des matteurs d'animes. Il n'est pas le seul d'ailleurs: d'autres parmis ses relations peuvent revendiquer un loisir "complexe" qui pousse à réfléchir (pour citer Death Note en exemple, boum, douche froide) ou parler de profondeur scénaristique à tout bout de champs, ou encore pour plonger dans des exercices d'auto-justification aussi convaincantes qu'un jeune sarkozyste n'osant pas avouer qu'il veut obliger l'épicière du coin à payer ses frais de succession à sa place.

Tout cela procède d'un même mouvement: le jeune Otaku devenu adulte ne pouvait plus se contenter de dire "fuck le monde des adultes" et à vouloir donner un verni rationnel à ses loisirs, il a fini par se fabriquer une forme d'idéologie au rabais, associée à un discours faussement intellectuel, qui a même maintenant ses propres gauchistes crétins et ses minorités visibles l'ensemble essayant de se donner une apparence de posture dépassionnée et distanciée (via les alibis de l'auto-dérision), apparence qui ne tient pas quand on voit la tendance des uns et des autres à s'autocongratuler et à rejeter toute forme de remise en cause.

Bien sûr, il y a quelques exceptions: des spécimens rares capables d'avoir la bravitude de dire: "Oui, je Matt (haha) des gamineries et j'assume" mais dans le fond ceci reste l'exception.



En fin de compte, l'Otaku, le vrai, celui qui n'a pas de vie hors de ses loisirs, comme le très abâtardi qui a une existence sociale hors de son ordinateur, est un animal qui vieilli très mal: jeune, il est solitaire ou clanique (ce qui revient au même, un clan d'otakus étant à la base le même individu en dix exemplaires), adulte, il s'embourgeoise et devient persuadé qu'il est plus futé que la moyenne: devenu aussi élitiste qu'un néo-con ou qu'un scientologue, il affirme avoir découvert des vérités inaccessibles au commun des mortels vautré devant la chaîne du temps de cerveau disponible qu'il méprise, oubliant le temps qu'il a pu passer à rendre son cerveau disponible devant le club do.



[Note de raton-laveur : Toujours dans le cadre du Quartier Libre, cet article a eu un droit de réponse le lendemain par mdt, lisible ici.]